Le canal du Rhône au Rhin a été construit pour relier les ports maritimes du nord de l’Europe à ceux de la Méditerranée. Les travaux ont débuté en 1784 et le canal fut inauguré en 1833.

Avant sa dénomination actuelle, il s’est appelé «canal Napoléon», puis «canal Monsieur» et encore «canal de jonction entre le Rhône et le Rhin». A l’origine, il reliait Saint-Symphorien-sur-Saône dans le département de la Côte d'Or (21) à Strasbourg : 323 km dont 136 en Alsace.

 

 

Par la suite, le canal a été mis au gabarit Freycinet (péniche de 300 tonnes) entre 1882 et 1921 mais son trafic est resté limité. Puis en 1961 la mise en service du raccordement du canal avec le Grand Canal d'Alsace entre Mulhouse et Niffer (sur le Rhin) a provoqué le déclassement partiel de la branche nord du canal du Rhône au Rhin, de Niffer à Strasbourg.

Sa mise au grand gabarit européen de 5 000 tonnes est commencée à la fin des années 1970 : celle-ci n'est cependant effectuée que dans la partie orientale, entre Niffer (sur le Rhin) et Mulhouse.

Les péniches et leur évolution

Les premières péniches étaient en bois, puis en acier. Elles devaient être tractées depuis des chemins de halage, aménagés sur la berge.

Jusqu’en 1906, les embarcations étaient tirées par des hommes à l’aide de cordes accrochées à un harnais nommé « bricole ».

Puis la traction se fit par des chevaux ou des mulets. A l'avant de la péniche, un petit emplacement accessible par une rampe raide était réservé pour les attelages et les muletiers. Lors de la belle saison, les équidés restaient à terre et paissaient, attachés aux arbres.

Petite anecdote concernant ces muletiers : à Strasbourg des débits de tabac renommés vendaient des pipes en bruyère déjà culottées. Elles étaient enroulées dans un ruban protecteur et l’embout d’origine était remplacé par un provisoire. Les muletiers les culottaient, en contre-partie le tabac était fourni gratuitement. Les pipes, au retour, étaient débarrassées du ruban protecteur, curées, polies et revêtues de leur embout d’origine puis vendues à des notables !

La traction des péniches à l'aide de locotracteurs

Après la Première Guerre Mondiale, des rails écartés de 60 cm et une ligne électrique  ont été installés sur le chemin de halage du côté ouest du canal. La traction mécanique à l'aide d'un locotracteur a remplacé la traction animale. Ces deux systèmes ont un temps cohabité : côté ouest se trouvait le locotracteur et côté est, la version employant la force animale. Rapidement, l’usage des animaux a été abandonné afin d’assurer une circulation et un débit plus fluide des péniches.

Les locotracteurs lourds et spartiates étaient équipés d’un strapontin, d'un frein et d'un accélérateur. Ils évoluaient sur une voie unique et ne parcouraient qu'une petite distance. Lorsque deux bateaux se croisaient, il fallait inverser les cordes de traction entre le bateau qui montait et celui qui descendait. Cette opération s‘appelait «le troquage». Chaque locotrain partait alors en sens inverse et la péniche suivait sa route.

La journée d'un conducteur finissait à 19 heures en été et vers 16h30 en hiver. Il avait la place de mettre un vélo sur son engin. Ainsi il pouvait rentrer chez lui après sa journée de travail, quel que soit l'endroit où il se trouvait. 

Péniches à moteur

Peu à peu les péniches ont été équipées d'un moteur Diesel et cela a mis fin aux locotracteurs. Mais les hélices faisaient beaucoup de remous qui rongeaient les berges. Alors au début des années 60, de gros travaux ont été entrepris pour les consolider avec des palplanches réalisées par l’entreprise Zublin. Les boues et le loess évacués ont servi à combler l’arrière des palplanches. Ce chantier avait été octroyé à l’entreprise Pepra. Son chef, M. Guillot, avait élu domicile rue des Vosges. 

La vie des bateliers

A l’arrière de la péniche se trouvait un appartement très réduit pour le batelier et sa famille car il fallait optimiser le maximum de place pour le chargement.

Les bateliers se connaissaient presque tous et prenaient des nouvelles les uns des autres. En fin de journée, les péniches étaient amarrées le long des berges. Les bateliers venaient alors dans les fermes des alentours pour acheter du lait, des œufs, des pommes de terre et d’autres aliments. En automne, certains récoltaient eux -même les pommes de terre dans des champ proches du canal.

 

Une famille de bateliers venant de Sarrebruck, Joseph et Ella Dohr, parents de Ingrid Hiss qui vivait rue du canal, amarrait leur péniche « Albalonga » plusieurs jours avant de se rendre à Mulhouse. Un hiver, elle se trouva même prise dans la glace.

La vie des éclusiers

Les éclusiers jouaient un grand rôle pour assurer le trafic. Souvent les bateliers leur donnaient une lettre ou un paquet pour qu’ils les remettent à d’autres qui passaient deux jours plus tard. Ils leur fournissaient l’eau potable, le pain et encore d’autres produits de première nécessité. Dans certaines maisons, ils pouvaient acheter leur bouteille de gaz.

Mais l’activité des éclusiers prit fin quand des cordes munies de poignées furent installées en amont de l’écluse de part et d’autre. Les bateliers se sont mis à actionner eux -même l’ouverture et la fermeture de l’écluse.

 

 

Une grande gaffe (Ramshoncke) permettait de repousser le bateau de la berge ou du mur de l’écluse.

Les parents faisaient peur à leurs enfants, en les menaçant d’appeler le « Hòckemànn » qui avec sa gaffe viendrait les tirer tout au fond de l’eau s’ils s’approchaient trop du canal.

En amont de l’écluse de la Thumenau, une particularité est à signaler : le canal passe dans un bac en acier pour franchir le canal d’alimentation de l’Ill. Ce bac fut remplacé il y a quelques années.

Matériaux transportés par les péniches autrefois

Les produits qui voyageaient sur le canal étaient variés : sacs du combustible, des traverses de chemin de fer, toutes sortes de céréales, du gravier, des matériaux de construction et en automne les betteraves sucrières. Pendant la deuxième Guerre Mondiale, les cargaisons de charbon étaient peintes en blanc pour voir si quelqu’un en avait pris pour le vendre. Puis il fut remplacé par du pétrole. Les deux dernières péniches pétrolières « Céphé » et « Bramon », d’une belle couleur verte et jaune, appartenant à la compagnie « l’Union Normande » passaient presque toutes les semaines à une heure d’intervalle.

 

Actuellement, une péniche affrétée par l’entreprise Béton Fehr vient faire demi tour dans le port de Plobsheim tous les deux jours vers midi pour charger à la ballastière Helmbacher d’Eschau 230 tonnes de gravier pour remonter vers Strasbourg où elle rejoint le canal de la Marne au Rhin jusqu’ à Hochfelden où se trouve une centrale de béton.

Déchargement de matériaux autrefois dans le port de Plobsheim

Dans le port de Plobsheim, le «Làdstàtt», des matériaux de construction étaient déchargés : briques, tuiles et ciment. Des engrais comme la potasse d’Alsace, les scories de Lorraine, du salpêtre du Chili, du lisier venant des cuves de rétention de Strasbourg avant la mise en place des stations d’épuration. Les agriculteurs éva­cuaient ce purin avec leur tonne en bois d’une contenance de 1500 litres.

Un avis de la poste indiquait l’arrivée de la péniche et son départ à vide. Les marchandises étaient dans le port pusi chargées dans des charrettes par les agriculteurs mandatés par les personnes concernées par les marchandises. Des volontaires donnaient un coup de main pour que le déchargement soit réalisé dans les plus brefs délais.

Dans les années 60, la gravière du Langensand était exploitée par l’entre­prise Sablont. Des camions chargeaient le gravier et le déposaient dans le port. Le chargement sur les péniches se faisait le week-end avec deux grues, l’une venait d’Eschau et l’autre d’Obenheim. Plus tard un convoyeur fut installé. Son socle en béton est encore visible jusqu’aux récents travaux en 2021-22.

L'entretien du canal par les Voies Navigables de France (VNF)

L’équipe de maintenance de cette portion du canal a toujours encore son point d’attache à Erstein-Krafft. Elle entretient les chemins de halage et remplace les parties abîmées des écluses.

Dans le temps, on appelait ces employés « les Kànàlàrwèiter ». Leur petite péniche était tractée par eux -même à l’aide d’un harnais en cuir. C’était leur atelier. La cabine où ils entreposaient les outils servait d’abri en cas de mauvais temps et pour prendre leur repas de midi. Plusieurs ouvriers du canal étaient de Plobsheim. Les travaux de menuiserie étaient réalisés à Plobsheim. 

Le fauchage de l’herbe des deux berges était attribué par lots pour une modique somme d’argent à des particuliers pour faire leur foin.

Le canal a été vidangé plusieurs fois pour vérifier son état et procéder à des travaux. A ce moment là, l’association de pêche de Plobsheim assurait la prise des poissons pour les mettre dans les rivières et dans l’étang de pêche de la Niederau. Fin des années 60, Bernard Finck, pêcheur professionnel, dirigeait les opérations et Théodore Vetter mettait la camionnette de sa menuiserie à disposition pour transpor­ter les poissons dans de grandes bassines. Divers objets jetés volontairement dans le canal comme des seaux, des bassines métalliques, de vieux vélos étaient également sortis pendant l’opération de vidange.

Photos anciennes du canal

Autres activités liées au canal : les loisirs

L’endroit près du pont était très apprécié des pêcheurs de Plobsheim et des alentours. Leur longue canne en bambou se terminait par un flotteur de fabrication maison à partir de plumes d’oie. Ils pêchaient avec du blé ou du chènevis (graine de chanvre) cuits. Chacun avait sa propre recette. La pêche à la flottée était la meilleure méthode pour prendre les grands gardons (Wissarottle). A l’autre bout du port (Grasse Eck), les jeunes trou­vaient leur plaisir à attraper les gros gou­jons (Wùrschtgrasse), les petites carpes (Schniederkàrpfe) ou les perches soleil (Sònneberschi).

Plusieurs fois dans les années 50- 60, le club de joutes nautiques de Strasbourg organisait un spectacle en soirée dans le port. Les spectateurs se pressaient très nombreux des deux cotés du canal.

Le soir du 14 juillet, vers 23 heures, une centaine de personnes venaient sur le pont pour voir le feu d’artifice tiré depuis la cathédrale de Strasbourg.

En été, malgré le risque, des jeunes sautaient depuis la ram­barde du pont, d’autres nageaient depuis la rive.

En hiver, le canal était souvent gelé. Le brise-glace passait régulièrement. Mais en hiver 1928 et 1956, les températures avaient chuté durant plusieurs semaines en dessous des moins 20 degrés, la couche de glace était tellement épaisse que tout le canal était resté bloqué. Les jeunes en pro­fitaient pour y faire des glissades ou rouler sur la glace avec leur vélo.

 

Morts dans le canal à Plobsheim

Hélas, certains Plobsheimois ont choisi de se suicider dans ce canal ! D’autres s’y sont noyés accidentellement par hydrocution.

On déplore aussi un meurtre : en 1966, un ouvrier agricole d’une ferme d’Eschau n’avait plus donné signe de vie depuis plusieurs jours. Deux mois après, les bateliers des péniches pétrolières se plaignaient que quelque chose grattait sous les péniches après l’écluse de la Thumenau. Des plongeurs ont inspecté le fond du canal pour trouver son corps bien abîmé dans sa 2 CV complètement laminée. La gendarmerie en a conclu qu’il s’agissait d’un meurtre.

Et il est aussi arrivé qu’ un cheval s’y noie. En 1956 Marie, une jument est morte noyée, attachée à un pulvérisateur. Cet appareil était utilisé pour traiter les vergers des membres de la société des arboriculteurs de Plobsheim. Ils payaient le traitement « à l’arbre ». Lorsque la date de traitement était fixée, Georges Goetz mettait un cheval à la disposition de l’association. La commune de Plobsheim louait alors les services du garde-champêtre, à ce moment-là : Frédéric Lutz. Mais ce dernier n’ayant pu se libérer, une autre personne devait conduire le cheval. La cuve du pulvérisateur, positionnée en marche arrière, était remplie à l’embarcadère du canal. Suite à une mauvaise manipulation, le cheval a été précipité dans l’eau par le poids de la cuve en train de se remplir. Les sapeurs-pompiers sont intervenus pour ressortir le cheval du canal, et l’appariteur a coupé des roseaux pour recouvrir le cadavre couché sur la berge. La nouvelle de l’accident s’est vite répandue. Après l’école, tous les jeunes se sont précipités sur place. Suite à ce malheureux accident, la société des arboriculteurs de Plobsheim a décidé, lors de la réunion de comité du 19 juin 1956, de participer à hauteur de deux tiers au rachat d’un cheval pour Georges Goetz. Des années plus tard, ce tragique accident était encore dans les esprits de bien des habitants de Plobsheim.

Historique du pont de Plobsheim

Le pont sur le canal était d’abord en bois puis en béton. Il fut démoli au début de la seconde guerre mondiale puis re­construit par les Allemands. Ernest Deutsch, Albert Finck et d’autres ouvriers de Plob­sheim ont participé à ce chantier.

Pendant les travaux, un pont provisoire fut installé (Notbrùck) dans la rue de la chapelle. Un raid aérien allié rata la destruction du nouveau pont mais en novembre 1944, les Allemands, avant de partir, l’ont fait sauter. Tout le quartier du canal fut évacué, il y eut beaucoup de dégâts, notamment les toitures des maisons. Il fut remplacé par un pont provisoire en bois d’une charge très limitée.

A la fin des années 50, le pont en bois fut consolidé avec un pilier laissant seule­ment un seul passage pour les péniches. La maintenance des ponts en bois était réalisée par une équipe spéciale, Paul Schoch de Plobsheim en faisait partie.

Les blocs de l’ancien pont en béton étaient entassés sur le côté, recouverts d’un grillage. A la longue, ce dernier rouilla. Un jeudi, des écoliers, libres ce jour-là, eurent l’idée de jeter les blocs de béton dans le thalweg ( endroit du passage des bateaux). Le vendredi matin, une péniche chargée de céréales échoua sur cet amas de gravats. Tout le trafic, très dense à l’époque, fut interrompu. Il fallait faire venir une péniche vide pour transvaser les céréales. Vers 10 heures, les gendarmes sont venus à l’école pour mener une enquête. Les coupables furent vite démasqués. Le prix de réparation était très élevé mais les assurances de responsabilité civile l’ont pris en charge. On en profita pour inspecter un peu plus le fond, on sortit entre autres, deux carabines de la deuxième Guerre Mondiale.

Le pont actuel fut construit au début des années 60. Pendant sa construction, aucun passage n’était possible, il fallait passer par les ponts de la Thumenau ou d’Eschau.

Conclusion

De nos jours, le canal ne sert pratiquement plus qu’ au tourisme fluvial car les péniches de type Freycinet (250 à 300 T) qui l'empruntaient ont été remplacées par des péniches bien plus grandes et plus larges, trop pour la largeur du canal. Celles-ci naviguent sur le Rhin canalisé, c'est-à-dire le Grand Canal d’Alsace.

Ce canal du Rhône au Rhin est aujourd’hui désaffecté . Mais il reste quelques traces du passé. La maison éclusière est toujours louée à un employé des Voies Navigables de France. Les chemins de halage inutiles ont été transformés en sentier pédestre et piste cyclable. Les pêcheurs s’installent toujours sur les berges. Les péniches devenues habitations jouissent d’un environnement bucolique à la hauteur de la Chapelle et de la Thumenau. Dans le port de Plobsheim, la « Claire Jeanne» est là depuis l’été 1988. Les moteurs sont en état de marche pour pouvoir bouger en cas de vidange de cette partie du canal. Le port de Plobsheim ne sert plus qu’au demi tour de la péniche de Béton Fehr. C’est tellement tranquille que les cygnes y nidifient.

Le Giessen remercie toutes les personnes qui ont apporté leurs connaissances à Michèle Barthelmebs, Ludovic Seng et à Charles Lutz sur la vie des Plobsheimois autour du canal, tout particulièrement Eugène Pfister et Martin Deutsch.

Autres sources :
- musée de la batellerie d’Offendorf
- Site Wikipédia
- Article des DNA du samedi 8 mai 2021 : Le canal du Rhône au Rhin au temps des locotracteurs

 

Retour à la page d'accueil du site