6. Des soldats prisonniers à Tambov

Comment sont-ils arrivés dans ce camp ?

Après le décret du 25 août 1942 du Gauleiter Wagner en Alsace, les jeunes hommes sont incorporés de force par classes d'âge dans la Wehrmacht. 

Plus de 130 000 Alsaciens et Lorrains et 10 000 Luxembourgeois furent ainsi incorporés de force. A Plobsheim, on estime entre 150 et 200 le nombre de jeunes hommes obligés à partir. 

La plupart d'entre eux s'est retrouvé sur le front de l'est. 

L’espionnage soviétique sur le front Est fonctionnait bien. Leur propagande lançait des tracts en français et en allemand pour inciter les Alsaciens à passer de leur côté, puisque l’URSS était l’ alliée de la France. Elle promettait de les rapatrier en France au plus vite. Durant la débâcle de l ‘armée nazie, des milliers de soldats suivirent cet appel et se sont retrouvés dans des camps de prisonniers, soit -disant « camps de la liberté ».

Pendant le long transfert à pied et en train de marchandises, beaucoup mourraient. Ce fut le cas de Charles Gruber, mort à Ufa selon le témoignage de Willy Decker, boucher à Graffenstaden à son retour de captivité.

De nombreux incorporés de force ont été emmenés dans le fameux camp n°188 dans la forêt de Rada, près de Tambov, à 419 km au sud-est de Moscou.
Dans ce camp, les prisonniers français et d’autres pays ont été rassemblés jusqu ‘à la fin de la guerre.

Le choc a été terrible : les soldats découvraient un autre monde, le système communiste. Dépouillés de leurs bottes et de leur manteau, ils durent faire face aux terribles hivers russes.

Les conditions de vie dans le camp

Dans ce camp prévu en 1942 pour les soldats de l’Armée rouge prisonniers par les Allemands, furent prisonniers plus de 18 000 hommes (bien plus que la capacité théorique) et on estime que 6 000 à 8 000 personnes y sont morts. Le camp ressemble à tous les autres camps des dictatures, avec ses 4 rangées de barbelés, ses 5 miradors, ses baraques surpeuplées, destinées chacune à recevoir en principe 120 prisonniers, mais en comptant jusqu’à 350.

Le site initial est un ancien polygone d’artillerie situé dans une zone boisée et marécageuse. À plusieurs reprises, les autorités ont augmenté la capacité du camp.

1 900 Alsaciens et Lorrains y ont mené une vie infernale à partir de juin 1943. Même si le gouvernement soviétique avait conscience de la situation tragique et anormale dans laquelle se trouvaient les soldats alsaciens et lorrains, et s’il faisait la différence dans la masse des prisonniers de guerre entre les Français et les autres, la vie dans le camp était très dure, marquée par la faim : la distribution d’une soupe claire dans laquelle nageaient quelques morceaux de betterave se faisait dans des boites de conserve vides.

Jean Trebès qui avait la chance de travailler dans les cuisines donnait souvent en cachette un morceau de pain à un de ses camarades moins bien lotis, malgré les risques encourus. Il arrivait aussi à quémander un peu de Mahorka, nom du tabac local, auprès des gardiens du camp. Les Kapos étaient « des Français, des Alsaciens ». Certains faisant régner l’ordre durement, avec des sanctions sévères en cas de manquement, comme la « corvée des chiottes, la nuit, par moins 40°». Beaucoup de prisonniers sombrèrent dans le désespoir devant ce sentiment d’injustice, de trahison.

La distribution de l’eau se faisait une fois par jour dans un tonneau. Les premiers servis n’en laissaient pas assez aux derniers. Pour mieux résister aux terribles hivers, les baraques, construites par les prisonniers eux-mêmes, étaient à moitié enterrées dans le sol. Des châlits en bois, à deux niveaux, avec un tout petit espace par personne, ne permettaient pas un sommeil réparateur.

Charles Schott raconte que tout le groupe devait se tourner en même temps. Ceux qui étaient morts durant la nuit étaient mis par terre et ramenés sur la place de l’appel le matin. Le manque d’hygiène était grave. Beaucoup mourraient du typhus.

Théophile Schreiber avait attrapé cette terrible fièvre et en serait mort si des camarades ne lui avaient pas donné des quignons de pain pour le requinquer.

Michel Alfred Kapp, qui avait été frappé par un coup de crosse sur le visage, dut la vie à Jean Camisart, un jardinier de la Robertsau.

Georges Lehmann et Louis Mutschler y laissèrent leur vie.

Le travail forcé

Le travail forcé à l’intérieur ou à l’extérieur du camp dans ces conditions était difficile : Edouard Gasser fut employé en ville à des travaux de démolition et d’aménagement. Théophile Schreiber participa à des travaux de fauchage. Beaucoup se portaient candidats à ce travail dans les prés, car les grenouilles y grouillaient. Les cuisses de ces batraciens et toutes les racines comestibles qu’isl y trouvaient amélioraient leur quotidien. Mais les autorités faisaient passer des tests d’aptitude et ne prenaient que les plus vaillants pour ces travaux. 

Charles Schott et Frédéric Muthig travaillaient dans la forêt au ramassage du bois et à sa distribution dans les divers endroits du camp.

Mais le plus pénible était le travail à longueur de journée dans l’humidité des tourbières qu’ a dû accomplir Bernard Finck.

La libération et le retour à Plobsheim

En juillet 1944, suite à un accord entre l’URSS et le Comité de la France Libre, 1 500 prisonniers ont été libérés du camp de Tambov et acheminés vers l’Afrique du Nord via Téhéran et la Palestine avant leur retour en France. 

Aucun des hommes de Plobsheim ne figurait sur cette liste.

Malgré les promesses de rapatriements ultérieurs, à Moscou, les blocages se multiplient, qu’ils soient liés à la complexité du dossier pour les Soviétiques (comment trier les Alsaciens-Lorrains des Allemands, les « Malgré-Nous » des collaborateurs ?), à la rétention d’informations, aux réticences à se séparer d’une utile main-d’œuvre quasi gratuite, ou aux enjeux diplomatiques. Moscou exige en effet le rapatriement réciproque des citoyens soviétiques qui se trouvent en France ou dans la zone française d’Occupation en Allemagne et en Autriche, et qui, s’appuyant sur une résolution de l’ONU, refusent ce retour forcé.

D’autre part, à la Libération, le Général de Gaulle n’intervient que mollement en leur faveur, ne voulant mécontenter ni les communistes français très puissants, ni Staline avec qui il envisagait certaines alliances politiques. Les autres prisonniers restèrent donc plus longtemps. Ils rentrèrent souvent par Bruxelles et de longs passages administratifs dans des gares de triages, avec une enquête des Renseignements généraux.

Pour le retour à la maison, il ne fallait pas être malade ou trop faible.

Georges Schwentzel mourut en cours de route à Francfort-sur-l’Oder. Les survivants rappellent tous que Jean Trebès, déjà généreux en pain et en tabac, avait laissé sa place à plusieurs reprises à d’autres camarades de Plobsheim pour qu’ils puissent rentrer au plus vite ! Il fut le dernier à rentrer au village et mena ensuite une vie marginale.

Dès leur retour, les malades furent pris en charge. Mais la médecine ne pouvait pas faire de miracle, et Raymond Bapst mourut à l’hôpital de Strasbourg après sa libération de Tambov.

Le dernier à rentrer en Alsace fut Jean Jacques Remetter, originaire de Strasbourg, en 1955.

Ces incorporés de force puis prisonniers dans des camps russes reprirent leur vie de famille et professionnelle sans trop parler de l’enfer qu’ils avaient vécu.

Les Anciens de Tambov de Plobsheim :

Tambov 1

Deux soldats de Plobsheim sont à rajouter :

Eugène GASSER et Frédéric DEIBER né en 1922 ont également séjourné dans ce sinistre camp.

Frédéric Deiber (photo ci-dessous) a dû participer à la construction de ponts et de forteresses en Pologne et en Roumanie dans le cadre de l'organisation Todt entre 1942 et 1944.

Source principale : Giessen Infos n°32 de mars 2019, rédigé par Michèle Barthelmebs et Charles Lutz, membres du Giessen.
Sur la base des témoignages de Charles Schott et de Frédéric Muthig, derniers survivants des 22 incorporés de force dans la Wehrmacht puis prisonniers dans ce camp soviétique durant la seconde Guerre mondiale, originaires de Plobsheim. Avec nos remerciements chaleureux.

Autres sources :
- Tambov : révélations des archives soviétiques, éditions La Nuée Bleue 2010
-  Régis Baty : "Tambov - Le Camp Des Malgré Nous Alsaciens Et Mosellans Prisonniers Des Russes" -éd. la Nuée Bleue-
- mosellehumiliée.com association « pélerinage Tambov »

 

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