Denise Schmitt Malgré-Elle

Le conseil de révision

Denise Schmitt et sa soeur jumelle Jacqueline sont nées en 1924.
Elles travaillaient au restaurant familial Au Chariot d'Or à Plobsheim quand elles ont été appelées à accomplir leur "devoir obligatoire à la nation allemande". 

"Toutes les filles du village qui travaillaient à la ferme de leurs parents ou à l'usine de Graffenstaden n'ont pas eu besoin de partir au RAD" : propos de Denise lors de son interview le 3 mars 2014 réalisé par Marlène Anstett. 

Denise avait commencé une formation à l'école hôtelière qu'elle a arrêté pour travailler au restaurant de ses parents. Avec sa soeur, elles tenaient également la billeterie du tramway qui passait devant chez elles. 

Elles ont néanmoins été convoquées au conseil de révision à Geispolsheim en automne 1942. 
Jacqueline Schmitt est partie immédiatement au RAD en Thuringe. Denise, dont les radiographies ont révélé une pleurésie, a été déclarée sursitaire et n'est partie que six mois plus tard. 

Le Reichsarbeitsdienst


Denise a quitté Plobsheim le 7 avril 1943 et affectée au camp de Horresser près de Montabaur dans le Westerwald (à l’est de Coblence) pour six mois.
Elles étaient trois Bas-Rhinoises dans le camp dont une Strasbourgeoise et une Haguenauvienne. "Nous étions toujours ensemble" a rajouté Denise. 

 

 


 

Les Arbeitsmaiden participaient aux travaux à l'intérieur du camp : cuisine, lessive, nettoyage des baraques en bois, jardinage, et bien d'autres tâches encore. 

Leur vie au camp était rythmé par de nombreux appels et des contrôles de toute sorte : "Kleiderappell, Bettappell, Spindappell, Waschbeckenappell, et autres Appelle" !

"Au camp, on m'avait surnommée Stilles Wasser" a rajouté Denise. Pour son calme ? 

 

 

 

 

Une place privilégiée était accordée au chant et à la musique. Mais leur fonction était avant tout civilisatrice puisque les oeuvres choisies vantaient les attraits et les valeurs de la nouvelle Heimat : le Reich, et que les Alsaciennes déclarées "Volksdeutsche" à partir du moment où elles faisaient le RAD devaient apprendre à aimer. 

Et avec un esprit sain il y avait forcément un corps sain. La Leibesübung, c'est-à-dire l'activité physique, était primordiale dans l'éducation des jeunes filles. Un entrainement sportif journalier favorisait l'endurance et la résistance, deux qualités précieuses pour exécuter les multiples tâches au quotidien et celles qui les attendaient plus tard, à savoir le travail dans le cadre de l'effort de guerre. 

Dans le cadre du RAD, Denise a travaillé essentiellement auprès de familles paysannes dont les hommes étaient partis à la guerre. Mais par deux fois elle a été missionnée à Montabaur, dans des familles bourgeoises. "Une fois, dans une famille nazie avec dix ou onze enfants et une bonne russe, le mari envoyait de France une grande quantité de bijoux et d'objets précieux. La maison en était remplie !" se souvenait Denise. 

 

Le Kriegsdienst à Berlin

En automne 1943, à la fin des 6 mois règlementaires du RAD, toute l'équipe du camp de Horessen a été envoyée dans une fabrique d'ampoules à Frankfort, y compris les deux camarades alsaciennes, mais pas Denise. "Moi seule j'ai été envoyée à Berlin dans une usine de munitions. Pourquoi ? Je n'en sais rien !"

"J'y étais avec une Strasbourgeoise originaire du Neuhof, qui venait d'un autre camp du RAD. Nous étions à nouveau logées dans un baraquement en bois. Nous étions nombreuses. Il y avait de belles Polonaises.

A l'usine, nous remplissions les munitions pour mitrailleuses de poudre. Tous les soirs, il y avait des alarmes de bombardement. On avait un coffre devant le lit avec notre nom. Dedans, la valise était prête en permanence pour pouvoir se précipiter dans les caves de l'usine. 

Pendant les 6 mois de KHD, nous n'avons eu droit qu'à une seule excursion, en groupe et accompagnées de la cheftaine et d'un directeur d'usine. Nous ommes allés au palais rococo Sans Souci à Berlin. Sur la photo, on peut voir des Polonaises, notamment à gauche. Nous avions bien essayé de prendre le tram jusqu'au centre ville, mais les magasins n'avaient plus de fenêtres et il faisait aussi froid à l'intérieur qu'à l'extérieur !"

Son père, à Plobsheim, faisait du pain et avait réussi à en confier à un Allemand de passage pour qu’il l’amène à sa fille à Berlin.
"Il avait fait un bel effet avec son manteau en cuir noir ! J'ai partagé le colis avec mes camarades !"

Fausses fiançailles et fausse opération

"Quand je suis revenue à Plobsheim pour soi-disant me fiancer, mon père m'a accompagnée à l'hôpital civil de Strasbourg. Nous y avons rencontré une soeur haut-rhinoise qui nous a dit : Attendez, je vais vous arranger cela. Ella a écrit qu'il était nécessaire de faire une intervention chirurgicale mais qu'il y avait de l'attente car il y avait beaucoup de monde. Finalement, j'ai été opérée des amygdales. C'était inutile. Quand je suis sortie de la salle d'opération, j'étais seule. Je suis descendue par l'escalier et dans ma chambre, je me suis évanouie. Je suis restée dix à quinze jours à l'hôpital, et ensuite on m'a prolongé le séjour encore d'un mois. Cela m'a permis de ne pas retourner au KHD à Berlin, j'aurais dû y être jusqu'en mai 1944. J'ai gagné plus d'un mois."

Sources : 
- Interview de Denise Arnold, née Schmitt, réalisée le 3 mars 2014 et traduit de l'alsacien par Marlène Anstett
- Marlène Anstett : «Gommées de l’Histoire» de Marlène Anstett, éditions du Signe 2015

 

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